Utiliser du sel fluoré à tout âge pour la cuisine et à table ?

La réponse du docteur Patrick Hescot, membre de l’Association dentaire française.
Introduit par décret en 1986, le sel iodé et fluoré est la méthode communautaire offerte à tous que
les pouvoirs publics ont souhaité mettre en place en France, à côté du sel non fluoré. Vingt-cinq
ans après son introduction, un point semble nécessaire.
Un dentiste américain, qui étudiait les taches sur les dents, constata, au début des années 1940,
qu’une teneur en fluor d’un mg par litre d’eau s’accompagnait chez les enfants d’une réduction
significative du nombre de caries. En revanche, le nombre de ces caries doublait pour une
concentration inférieure à 0,3 mg de fluorure par litre. L’intérêt s’est trouvé accru par une étude
portant sur des populations adultes, montrant que l’effet du fluor se poursuit au-delà de l’enfance,
sans diminuer de façon appréciable avec l’âge.

À partir de 1945, en Amérique du Nord et au Canada, l’adjonction de plus en plus fréquente de
fluor à l’eau potable a permis une réduction de 50% du nombre des caries.
D’abord utilisé en Suisse en 1955, le sel fluoré, généralement à une concentration de fluorure de
250 mg/kg, est une alternative à l’eau fluorée. Depuis 1986, une quinzaine de pays, principalement
en Europe et en Amérique latine, ont opté également pour cette prophylaxie de masse.
En France, la fluoration du sel a été autorisée et encouragée par arrêté du 3 octobre 1985, après
étude, par la Direction générale de la santé, du meilleur vecteur pour notre pays en vue d’une
prévention de masse de la carie dentaire.
Si la consommation en sel fluoré a tout d’abord augmenté progressivement jusqu’en 1990, où
son taux de pénétration atteignait 45%, elle n’a cessé depuis de décroître à partir de 1994 pour
stagner autour de 19% actuellement, alors qu’il atteint 85% en Suisse !

Des campagnes «antisel»

L’introduction du sel fluoré n’a pas bénéficié de la diffusion de la campagne télévisée d’information
qui a tourné court, les pouvoirs publics étant plus préoccupés par l’arrivée soudaine de la pandémie
de sida. Faute de cette politique de communication accentuée par les campagnes «antisel», le taux
de pénétration du sel fluoré a diminué depuis sa mise en place. Et pourtant, un chercheur suisse a
montré que dans les pays d’Europe où le sel distribué est exclusivement fluoré, on peut s’attendre
à une réduction du taux de caries de l’ordre de 30 %.
Cependant, l’efficacité est bien inférieure dans les pays où seulement une partie de la population
utilise le sel fluoré. Ce frein à l’efficacité est accentué par les inégalités sociales, les familles des
classes socio-économiques élevées utilisant plus fréquemment le sel fluoré (tout en étant plus
attentives aux autres méthodes préventives comme le brossage pluriquotidien avec un dentifrice
fluoré) que les classes plus défavorisées.

En Allemagne, où la part de marché du sel fluoré représente 60%, les modèles mathématiques
permettent d’estimer le taux d’efficacité à 14%. En France, sur la base d’un taux de pénétration
à 30%, l’efficacité était évaluée à 8%. Qu’en est-il aujourd’hui avec une distribution diminuée du tiers ?
On peut estimer que la part de marché du sel fluoré devrait avoisiner les 90% pour obtenir un
déclin substantiel de la carie. L’exemple de la Jamaïque est intéressant dans le sens où la totalité
du sel commercialisé est fluoré. L’indice carieux à 12 ans est passé de 6.7 en 1984 à 1.1 en 1995,
soit une baisse de 84% en onze ans (en l’absence de toute autre mesure hormis le brossage). La
mesure a depuis été étendue à près de 300 millions d’habitants de la région panaméricaine.

Diverses études montrent une augmentation significative des concentrations de fluor dans la
salive et la plaque dentaire encore deux heures après l’ingestion de repas préparés avec du sel
fluoré, potentialisant l’effet protecteur sur les tissus dentaires quel que soit l’âge. Le sel fluoré,
qui ne nécessite aucune modification des habitudes alimentaires en apport sodé, semble donc une
méthode réaliste et universelle, d’autant qu’elle profite à toutes les classes d’âge par son effet
topique reconnu. Comme quoi, il est parfois bon de mettre son grain de sel… fluoré, bien sûr !